Depuis le début du soulèvement syrien, le rôle russe était principalement politique avec l’assistance militaire traditionnelle et l’expertise. La crise a mis le régime le dos au mur année après année et les russes durent intensifier leur assistance dramatiquement. Pourtant, l’Empereur russe a choisi d’étendre son rôle en Syrie récemment pour inclure une intervention directe et une confrontation avec les ennemis du régime. Ce développement ne constitue pas simplement une intervention militaire; ce changement a conduit à l’apparition d’un nouvel élément crucial qui restructurerait l’ordre régional dans sa globalité.
La Russie a déclaré que la raison principale derrière son intervention directe en Syrie était de combattre l’ISIS après que la campagne menée par les États-Unis s’est avérée être tout simplement “un vil échec”. Beaucoup ont reçu cette annonce avec une réaction tiède, mettant en doute le motif réel derrière cette décision. Un des avis répandus prétend que la Russie cherche à garantir une base militaire et une présence dans – les eaux chaudes – de la mer Méditerranée. Eh bien, ceci peut être juste dans une certaine mesure, mais examinons quelques faits. Des ports dans les eaux chaudes ont un grand intérêt géopolitique et économique et se sont les ports où l’eau ne se gèle pas en hiver. Ces ports ont longtemps joué un rôle important dans la politique étrangère russe. L’Empire russe est entré dans une série de guerres avec l’Empire ottoman en cherchant à établir un port d’eau chaude. L’effondrement de l’Empire ottoman à la suite de la Première Guerre mondiale a permis a la Russie d’en contrôler davantage . L’Union soviétique a joui de l’accès aux bases navales partout dans la Méditerranée, pourtant son écroulement a mis fin à cet accès, à l’exception de la base de Tartus en Syrie. Depuis 1971, la force navale russe assure sa présence dans Tartus et avec l’intervention récente de la Russie, ce port joui d’une popularité sans précédent.
En conséquence, n’importe quel argument disant que l’intervention récente de la Russie en Syrie doit seulement garantir une présence permanente dans les eaux chaudes- manque d’exactitude car les russes ont jouit de cette présence même dans les temps les plus sombres. En fait, l’intervention directe récente de la Russie en Syrie a donné le baiser d’ adieu à l’ordre régional conventionnel qui a gouverné le Moyen-Orient durant une éternité. Traditionnellement et même au sommet de la Guerre Froide, le rôle de la Russie (l’Union soviétique ou la Fédération de Russie) a été limité à l’envoi d’armes, d’experts militaires et une aide logistique à ses alliés arabes. L’intervention actuelle a constitué une révolution dans le rôle de la Russie et a marqué une lourde intervention militaire.
L’intervention russe récente a coïncidé avec un certain nombre d’événements importants. A l’Est d’abord avec l’accord nucléaire iranien qui donne à l’Iran un rôle régional plus en vue, particulièrement en considérant les potentiels économiques que cet accord offre à l’Iran. Le second est le retrait graduel des EU de la région, symbolisé par le retrait de ses troupes d’Irak, remettant le destin de l’Irak aux Iraniens, la timidité de leurs efforts dans le conflit Palestinien-israélien qui a mené à l’apparition d’autres initiatives (par exemple les français, la Nouvelle-Zélande) et finalement sa décision de retirer le bouclier défensif de la Turquie (pour des raisons techniques selon l’annonce des EU). L’abandon de ses alliés historiques en Égypte (Mubarak) et en Tunisie (Ben Ali), en plus de laisser les Saoudiens et les pays du Golfe se battre tout seuls avec l’Iran au Yemen sont tous des signes du déclin du rôle des États Unis dans la région.
Richard N. Haass, le Président du Conseil américain pour les Relations Etrangères a écrit il y a quelques années que l’ère de la domination américaine dans la région se terminait et que l’avenir du Moyen Orient serait caractérisé par une influence américaine réduite, avec l’Iran cultivant sa force de levier, l’Irak chaotique, un processus de paix morne et la diffusion de l’islam politique. Haass constate que les États-Unis ont eu peu de raisons de plonger dans le Moyen-Orient et qu’ils ont de bonnes raisons pour limiter leur engagement là-bas comme il n’y a pas beaucoup à y gagner désormais. Il suggère un retrait américain du Moyen-Orient et, “un rééquilibrage” dans sa politique en se concentrant sur l’Asie.
Peut-être que la comparaison de l’interaction des autres acteurs internationaux avec les plans russes d’intervention en Syrie démontre fortement les limitations de la nouvelle stratégie américaine envers la région. Sous le slogan “la lutte contre le terrorisme”, la Chine a envoyé le porte-avions “liaoning-cv-16” à Tartus et les sources ont révélé que Pékin se dirige vers le renforcement de ses forces avec “J-15 le Requin Volant” des jets et “Z-18F et Z-18J” des hélicoptères équipés d’anti-sous-marin, et cela en coordination avec Téhéran et Bagdad. La France et la Grande-Bretagne ont fait de même; le dernier a annoncé qu’il mobilisera des renforts et des capacités militaires en Méditerranée et Paris a affirmé qu’il enverrait le porte-avions “Charles de Gaulle” pour participer aux opérations contre l’ISIS en plus de six jets Rafale aux Émirats -arabes unis et 6 avions mirages en Jordanie.
De leur côté, les EU, dont les porte-avions ont été absents de la région depuis 2007, ont ordonné 50 opérations de troupes spéciales en Syrie pour aider des forces terrestres “locales” au nord du pays!!! Obama a reconnu que la Russie avait une stratégie en Syrie lorsqu’il a condamné l’action de la Russie disant que “cette stratégie était voué à l’échec,” tandis qu’à la conférence de Presse en août 2014 il a reconnu que les États-Unis “n’avaient pas de stratégie” en soi en Syrie.
Les pourparlers médiatiques mis de côté, l’échange de rôles ne peut pas avoir été fait sans une coordination précédente entre la Russie et les EU. En supposant que le sommet Obama-Poutine, qui est survenu des heures avant l’action russe en Syrie, n’a pas abordé les plans d’intervention de la Russie, beaucoup d’indices prouvent la connaissance antérieure américaine de la décision de Moscou.
En juillet 2015 le Général Majeur iranien Qassem Soleimani a visité Moscou pour coordonner l’intervention militaire russe et forger ainsi une nouvelle alliance irano-russe en Syrie. Selon un rapport de Reuters, la visite de Soleimani a été précédée par un contact russe-iranien de haut niveau et des réunions pour coordonner des stratégies militaires. Deux mois plus tard, l’Irak, la Russie, l’Iran et la Syrie ont consenti à installer un comité de partage de renseignements à Bagdad pour harmoniser les efforts dans le combat contre l’ISIS.
Un officiel américain a confirmé le 18 septembre que plus de 20 vols d’avions de transport Condor avaient livré des chars, des armes, d’autre équipement et des fusiliers marins au nouveau centre militaire Russe près de Latakia en Syrie occidentale, suivis par 16 avions de chasse russe Su-27, avec 12 avions d’assistance rapprochée, quatre grands hélicoptères de transport de troupe Hanche et quatre hélicoptères de combat. D’où, il est clair que l’administration américaine était au moins consciente des préparatifs massifs russes et a encore opté pour garder sa présence réduite au minimum. Dans cette optique, il peut être dit que stratégiquement cette décision est conforme au grand plan américain mentionné ci-dessus dans la région et marque un gain stratégique calculé en garantissant une petite part dans une sphère traditionnellement d’influence russe : la Syrie.
La motivation russe exposée derrière cet engagement ne correspond pas aux faits sur le terrain. Autrement dit, les armes de l’ISIS, qui n’a pas les avions de combat polyvalents ou des systèmes de défense de missile, ne sont d’aucune proportion avec les défenses aériennes sophistiquées que les russes ont installés à la base de “Humaimam” (comme SA15 et des missiles sol-air SA22) ni les annonces russes que “des exercices de combat” de 40 navires ont dû commencer en Méditerranée orientale, y compris des roquettes et fusées d’artillerie en mer et des cibles aéroportées. Pour cette raison, quelques experts placent l’intervention de la Russie dans le cadre de sa nouvelle stratégie maritime, qui fut publiée le 26 juillet 2015. La nouvelle doctrine maritime de la Fédération de Russie pour 2020 est une politique complète d’état visant à gérer les actifs maritimes de toute la Russie, les flottes militaires, la flotte civile, la marine marchande et l’infrastructure navale.
Donc, tuant autant d’oiseaux que possible avec une pierre, les russes dicteront tout d’abord leur politique concernant n’importe quelle solution future en Syrie. L’inclusion de l’Iran et de la Russie aux pourparlers de Vienne en est juste un exemple. Mieux, le Secrétaire D’État John Kerry concède maintenant que l’on pourrait en effet permettre à l’allié de la Russie de longue date Bachar Al-Assad de conserver le pouvoir pendant une période, le Chancelier Allemand, Angela Merkel a dit que l’Ouest devra s’engager avec Assad s’il veut avoir une chance de résoudre la guerre civile syrienne et la Grande Bretagne a indiqué un changement semblable dans sa politique. Deuxièmement, la Russie a maintenant garanti un rôle plus grand dans la formation d’un nouveau gouvernement syrien, même si Assad est repoussé du pouvoir, n’importe quel régime naissant considérerait sérieusement le rôle de la Russie et sa présence dans le pays; y compris militaire ainsi que ses intérêts commerciaux et ses investissements (par exemple en 2011 la Russie a investi 19 milliards de $ en Syrie).
Troisièmement, la Russie est en cours d’étendre sa présence militaire; non seulement en Syrie, mais aussi dans toute la région et l’accord annoncé de partage des renseignements démontre ce but. Par exemple, la Russie a offert un grand tableau de matériel militaire à l’Irak (comme des hélicoptères militaires en 2013 et l’avion de chasse Su25s) que les EU ont refusé de vendre. Quatrièmement, bien qu’il semble que la Russie et l’Iran ont un but commun en Syrie, l’engagement direct de la Russie a mis fin au monopole de l’Iran sur le dossier syrien. Cinquièmement, la Russie mène une guerre de prévention contre des groupes extrémistes Islamistes dont la Russie a longtemps souffert. La Russie ne peut pas tolérer le retour de Tchétchènes ou d’autres combattants qui ont rejoint l’ISIS et sont inquiets du fait que l’Ouest peut utiliser ces radicaux contre la Russie dans un scénario semblable au cas afghan.
Sixièmement, l’intervention russe est venue après que des sources militaires ont confirmées que l’allié russe de longue date – le régime syrien – est sur le point de tomber qu’il contrôlait seulement 18 pour cent du pays et que son armée avait épuisé 93 pour cent de son stock. Septièmement, la force de levier montante de la Russie dans la région donnera une place plus grande à la Russie à la table de négociations ukrainienne. Finalement, la Russie vise la reprise de son marché d’industries militaire comme il a pu se promouvoir comme un acteur international dont on peut compter pour contenir l’Iran, empêcher l’utilisation du régime syrien d’armes chimiques, contribuer activement dans la lutte contre le terrorisme et vendre des technologies sur l’énergie pacifique dans le Moyen-Orient. Par exemple, le Ministère de la Défense Nationale russe conduit actuellement des opérations très importantes avec des états Arabes du Golfe pour développer le Corps marin et des systèmes de défense aériens, les techniques d’avions sans pilote, des véhicules blindés et des systèmes de signal. La Russie construit actuellement deux installations nucléaires en Iran du sud et en février la Russie a consenti à construire des réacteurs nucléaires en Égypte. Moscou est en pourparlers aussi avec l’Arabie Saoudite, les EAU, le Koweït et la Jordanie pour des accords en vue de développer l’énergie nucléaire, le plus grand accord signé était le 19 juin 2015 quand Moscou a consenti à établir 16 réacteurs nucléaires en Arabie Saoudite.
Bref, la Russie doit maintenant être prise au sérieux comme un acteur important sur la scène du Moyen-Orient. L’intervention récente russe en Syrie n’était pas la première action dans cette direction et des pouvoirs régionaux sont arrivés à la même conclusion bien avant . Ceci dit, il n’était pas exotique de voir des leaders du Moyen-Orient visitant Moscou en un rien de temps.
Fadi ELHUSSEINI