Les élections présidentielle et parlementaire en Turquie seront organisées le 24 juin prochain. Un deuxième tour est prévu pour l’élection présidentielle en le 8 juillet si aucun candidat à la présidence n’obtient la majorité nécessaire (50 % +1). Les candidats des différents partis politiques ont été annoncés la semaine dernière. Dans cet article, je vais essayer d’analyser l’élection présidentielle.
Devlet Bahçeli et Recep Tayyip Erdoğan
Recep Tayyip Erdoğan (64 ans), président de l’AKP (Parti de la Justice et du Développement) est le candidat incontestable de son parti. Il dirige la Turquie depuis 2003 et il est l’homme le plus puissant du pays. Selon les sondages, son parti a encore le soutient de 44-45 % de la population. Deux autres partis d’extrême droite : le MHP (Parti d’Action Nationaliste) et le BBP (Parti de la Grande Unité) vont soutenir Erdoğan. Avec ces alliances, Erdoğan devrait normalement obtenir plus de 50 % des voix facilement. En effet, le MHP a obtenu 12-13 % votes aux élections précédentes (ceci avant que le parti se scinde en deux, à savoir le MHP et le IYI Parti – le Bon Parti) ; quant le BBP a obtenu 0.5-0.6 %, grâce à l’héritage de son leader charismatique Muhsin Yazıcıoğlu. Mais les problèmes économiques que rencontre la Turquie et le déclin de la démocratie à la suite au coup d’état manqué du 15 juillet 2016 (organisé par le communauté islamique de Fethullah Gülen-FETÖ d’après les hommes d’état turcs), la coalition d’Erdoğan avec le MHP (leur président est Devlet Bahçeli) et le BBP (leur président est Mustafa Destici) ne garantit pas une victoire facile au premier tour. Au second tour, Erdoğan risque d’être obligé de faire une coalition avec les ultranationalistes, ce qui entrainerait certainement les kurdes à boycotter ce second tour ou voter pour un autre candidat. Mais malgré tout, Monsieur Erdoğan reste le grand favori de cette élection.
Kemal Kılıçdaroğlu et Muharrem İnce
Le CHP (Parti Républicain du Peuple) a choisi son meilleur orateur Muharrem İnce (54 ans) comme candidat à la présidence. Professeur de physique, il est la star du CHP, aussi bien auprès des militants que des élus. Il y a quelques années, il était considéré comme « le nouvel Atatürk » par les jeunes pour sa défense du sécularisme et du nationalisme civil d’Atatürk dans ses discours au parlement. Les vidéos de ses discours sont devenues très populaires sur les medias sociaux comme Facebook et Twitter. İnce est un pur kémaliste et il peut avoir des difficultés à convaincre les kurdes et les islamistes à obtenir ses votes. Le fait que Monsieur İnce soit un kémaliste pur et dur peut l’empêcher d’obtenir les votes des kurdes et des islamistes. Mais au second tour, certains électeurs nationalistes du MHP et du Bon Parti peuvent voter pour lui. L’élection d’Ince entrainerait une crise systémique car il est favorable au retour à l’ancien système parlementaire. Suite au referendum de l’année dernière, le système politique turc a été changé et un retour à l’ancien régime risque de ne pas être apprécié par les électeurs. Mais dans sa propagande, İnce utilise parfaitement les faux pas de Monsieur Erdoğan. Monsieur Kemal Kılıçdaroğlu est toujours le chef du CHP, et il a désigné son adversaire, Monsieur Ince, comme candidat à la présidence. Les analystes du CHP soulignent que cette décision n’est pas anodine car une défaite d’Ince à l’élection serait humiliante et signifierait la fin de sa carrière politique. D’autre part, Kılıçdaroğlu consoliderait sa position de chef du parti car il a déjà fait une coalition pour l’élection parlementaire avec le Bon Parti, le DP (Parti Démocrate – un petit parti de centre-droit) et le SP (Parti de la Félicité – parti islamiste qui peut obtenir 3-5 % des votes). Dans ce cas, je pense que Kılıçdaroğlu pourra contrebalancer le pouvoir d’Erdoğan à la TBMM (La Grande Assemblée Nationale de Turquie).
Meral Akşener
Une autre candidat forte est Madame Meral Akşener (62 ans), chef du IYI Parti (le Bon Parti). Lorsque le CHP a choisi Monsieur Muharrem İnce comme candidat, Madame Akşener a perdu toute chance d’être la seconde du parti. Elle a fondé son propre parti afin de pouvoir se présenter à l’élection présidentielle. Ce sera la première fois qu’elle se présente à une élection et son potentiel en tant que leader politique est une énigme. Les sondages montrent qu’elle peut avoir entre 7-17 % des votes. De plus, son parti va entrer au parlement avec une coalition entre le CHP, le DP et le SP. Mais comme elle va être dehors du parlement (les candidats présidentiels ne peuvent pas entrer dans le parlement), son parti peut avoir des désordres.
Selahattin Demirtaş
Le leader kurde Selahattin Demirtaş (45 ans) est le seul gauchiste de cette élection et aussi le plus jeune. Il a posé sa candidature depuis la prison où il est incarcéré en attendant son jugement. Il y a un arrêt de la politique pro-kurde en Turquie suite aux actes terroristes du PKK. Demirtaş défend toujours la paix, mais son parti est radical et possède toujours des liens avec le PKK. Les gauchistes turcs ne veulent pas soutenir ce parti qu’ils considèrent comme un parti nationaliste kurde plus que socialiste. Demirtaş peut avoir 10-13 % des votes et son choix pour le deuxième tour (supporter Erdoğan, supporter İnce ou boycotter l’élection) va être très important. On peut penser qu’au second tour, les électeurs pro-kurde séculaires voteront pour İnce, tandis que les kurdes islamistes reporteront leur vote sur Erdoğan.
Temel Karamollaoğlu
Les deux autres candidats seront Temel Karamollaoğlu (78 ans) et Doğu Perinçek (76 ans), s’ils peuvent recueillir 100.000 signatures pour devenir candidats indépendants. Karamollaoğlu les obtiendra facilement mais cela risque d’être plus difficile pour Perinçek. Rappelons que Mme Akşener, bien que son parti ait 20 députés (venant du CHP et du MHP) se présente aussi comme candidat indépendant avec 100.000 signatures. Karamollaoğlu peut avoir 3-4 % des votes selon les derniers sondages. En vérité, son parti a beaucoup de potentiel, mais les islamistes supporteront toujours Erdoğan et son parti l’AKP car il est le politicien islamiste le plus important de l’histoire de la Turquie. Perinçek et son parti prorusse et prochinois défendant un socialisme nostalgique de la guerre froide (Vatan Partisi-Parti de la Patrie) peut avoir 0.2-0.3 % des votes.
Doğu Perinçek
Voilà donc une prévision pour le premier tour :
- Recep Tayyip Erdoğan 48-52 %
- Muharrem İnce 22-27 %
- Meral Akşener 10-15 %
- Selahattin Demirtaş 10-13 %
- Doğu Perinçek 0.20-0.30 %
Si Erdoğan ne passe pas au premier tour, le deuxième tour sera entre Erdoğan et İnce et je pense que Monsieur Erdoğan va gagner avec 60 % contre Monsier İnce (40 %).
Dr. Ozan ÖRMECİ