Les élections municipales en Turquie vont se dérouler le 31 mars 2019 dans 81 villes dans le pays (il y a 30 municipalités mégapoles en Turquie et 51 municipalités normales). L’AKP (Parti de la justice et du développement), le parti islamo-conservateur qui dirige la Turquie depuis 2002 va participer aux élections dans le cadre d’un pacte électoral, « Cumhur İttifakı » (Alliance des peuples) avec le MHP (Parti d’action nationaliste), parti de droite et ultranationaliste. Selon le pacte, le MHP va supporter les candidats de l’AKP dans 27 municipalités mégapoles (y compris İstanbul, Ankara et İzmir) et 21 autres municipalités. En échange, l’AKP va supporter les candidats du MHP dans les trois villes mégapoles (Adana, Mersin et Manisa). Alors, dans les 51 villes, Cumhur İttifakı va participer au concours avec un candidat commun de l’AKP et le MHP. En plus, le BBP (Parti de la grande unité), un petit parti ultranationaliste va aussi favoriser les candidats de Cumhur İttifakı dans les mégapoles et les villes de sud-est d’Anatolie où la majorité de la population est composée des kurdes.
Les partis d’opposition aussi essayent de protéger leur pacte électoral qu’ils ont constitué pendant le référendum constitutionnel en 2017 et l’élection présidentielle de 2018. Le parti social-démocrate et séculaire, le CHP (Parti républicain du peuple) et Le Bon Parti (İYİ Parti en turc, un nouveau parti centre-droit et nationaliste qui est a été formé en 2017) vont participer aux élections dans le cadre de « Millet İttifakı » (Alliance de la nation). Les deux partis séculaires vont participer avec un candidat commun dans 23 mégapoles et 27 villes. Le CHP a désigné ses candidats dans les plus grandes métropoles comme İstanbul, Ankara et İzmir et 16 autres municipalités métropoles, et le Bon Parti était assez puissant dans les négociations avec Madame Meral Akşener (le chef de Bon Parti) qui a réussi à imposer ses candidats dans les métropoles comme Balıkesir, Trabzon, Denizli et Gaziantep. Les autres partis importants qui vont participer aux élections sont le Parti du bonheur (Saadet Partisi), le parti islamiste de tradition de Necmettin Erbakan et le parti pro-kurde, le HDP (Parti démocratique des peuples). Même si le HDP a beaucoup de chance dans les villes de sud-est, le parti a décidé de favoriser les candidats de Millet İttifakı contre le système autoritaire du Président Erdoğan.
Les thèmes politiques utilisés par les partis d’opposition se concentrent autour la crise économique de la Turquie. Le ralentissement de la croissance économique du pays ces dernières années et la dévaluation de la livre turque contre dollar américain et l’euro sont des arguments forts pour l’opposition indiquant qu’il y a un gouvernement faible et incapable. L’échec de la politique étrangère de la Turquie en Syrie et la détérioration des relations avec l’Union européenne et les Etats-Unis aussi constituent des arguments forts des partis d’opposition. Le President Erdoğan et les partis de Cumhur İttifakı d’autre part essayent de présenter les élections comme une question de la survie (bekâ en turc). Même si c’est une élection pour les municipalités, l’AKP et le MHP attirent l’attention des électeurs turcs sur danger du terrorisme du PKK, PYD, YPG, le DEACH et FETÖ. De plus, Président Erdoğan accuse les partis d’opposition de supporter les terroristes et il propose de nommer des curateurs pour les municipalités où le HDP, le parti pro-kurde qui a des liens avec le PKK, gagnerait les élections. Cette approche Schmittien (venant de Carl Schmitt) n’est pas une chose nouvelle dans la politique turque ; mais quand un président herculéen comme Monsieur Erdoğan utilise ce type de rhétorique, alors il y a danger majeur pour la démocratie en Turquie.
Dans le cœur économique de la Turquie, İstanbul, l’ancienne capitale de l’Empire Byzantin et de l’Empire Ottoman, l’AKP et le MHP ont choisi Monsieur Binali Yıldırım, le Premier Ministre précédent et dernier de la Turquie, comme leur candidat commun. Monsieur Yıldırım est un bon choix puisqu’ il a réussi a ne pas devenir un objet de haine aux les yeux des électeurs d’opposition. Il est aussi assez expérimenté (il était le Ministre des Transports et des Communications en Turquie avant devenir le Premier Ministre) et il a des connections avantageuses. Le candidat commun de CHP et le Bon Parti, Ekrem İmamoğlu, est plus jeune que Binali Yıldırım et aussi prospère que lui. Il a réussi à transformer en quelques années et en bien Beylikdüzü, un petit arrondissement d’İstanbul, en un quartier développé. Les sondages derniers de Gezici, une corporation prestigieuse, nous montrent que Monsieur Yıldırım va gagner l’élection contre Monsieur İmamoğlu avec 4-6 points de différence (52.1 % contre 46.6 %).[1] C’est normal car İstanbul est devenu une ville conservatrice dans les années dernières avec le vague de migration venant des villes de l’Anatolie et le succès de l’AKP et de Monsieur Erdoğan dans la vie politique turque depuis 2002. À İstanbul, le vote kurde est trop important et Monsieur Yıldırım n’est pas une figure très antipathique pour les kurdes. Alors, je pense que Monsieur Yıldırım va gagner mais la différence peut diminuer vers 3-4 points.
Yıldırım vs. İmamoğlu
À Ankara, il y a une attente forte dans les forums d’internet que le candidat de Millet İttifakı, Monsieur Mansur Yavaş va gagner contre le candidat de Cumhur İttifakı, Monsieur Mehmet Özhaseki. Yavaş est un politicien venant d’un background ultranationaliste turc et ceci lui donne une immunité très forte contre les attaques populistes du Président Erdoğan qui essaye de présenter les candidats d’opposition comme les avocats des groupes terroristes en Turquie. En plus, Monsieur Yavaş s’identifie à Ankara contre Monsieur Özhaseki qui vient de Kayseri. Mais les sondages récents de Gezici suggèrent que Monsieur Özhaseki va gagner l’élection avec une différence de 5 points (51.8 % contre 46.3).
Özhaseki vs. Yavaş
À İzmir, le CHP est sûr de sa victoire. Bien que les directeurs locaux du Bon Parti n’aient pas approuvé le choix de Monsieur Tunç Soyer, le maire de Seferihisar, comme leur candidat commun avec le CHP dans le pacte électoral, les électeurs pro-séculaires d’İzmir vont définitivement choisir Soyer pour remplacer la Aziz Kocaoğlu. Le candidat de Cumhur İttifakı, Nihat Zeybekçi, l’ancien Ministre de l’Economie en Turquie n’a pas beaucoup de chance contre Soyer car son parti islamiste n’est pas très populaire dans cette ville. Monsieur Zeybekçi essaye de se présenter comme un musulman moderne et modéré pour convaincre le peuple d’İzmir, une ville reconnue comme kémaliste. Il a même dit qu’il n’est pas contre la production de vins pour montrer sa priorité économique au lieu du fanatisme islamique. Mais il a peu de chance dans une ville comme İzmir.
Zeybekçi vs. Soyer
Parmi les autres métropoles où le concours sera contesté, Antalya est vraiment intéressant. Le candidat de l’AKP et le MHP, Monsieur Menderes Türel dirige Antalya depuis 2004 (mais il a perdu une élection contre le candidat de CHP Mustafa Akaydın en 2009). Il est assez populaire et connu. Mais l’identité islamiste de son parti dérange les entrepreneurs dans cette ville qui se redressait avec les revenues de tourisme et surtout par les touristes russes. En Turquie, les islamistes essayent d’interdire des boissons alcoolisées et la vie nocturne. À İstanbul par exemple, depuis la présidence de Monsieur Erdoğan (1994-1997), dans les restaurants de la municipalité d’İstanbul les boissons alcoolisées sont interdites. Alors, le CHP peut gagner à Antalya avec une stratégie correcte comme en 2009 avec Muhittin Böcek. Les sondages de Gezici d’autre part disent qu’il y a encore 5 points de différence entre les deux candidats et Menderes Türel est toujours le favori. À Bursa, Millet İttifakı peut gagner avec Mustafa Bozbey contre le candidat de Cumhur İttifakı Alinur Aktaş. À Aydın, le maire de la ville Madame Özlem Çerçioğlu est le candidat commun de CHP et le Bon Parti mais les sondages récents disent qu’elle va perdre contre Mustafa Savaş.
Quand on fait une analyse générale, il faut dire que les élections municipales ne vont pas changer beaucoup de chose en Turquie car les problèmes économiques et diplomatiques du pays sont devenus des problèmes chroniques après le coup manqué de 2016. Le CHP n’est pas un parti populaire qui peut parvenir à attirer les gens conservateurs en Turquie. L’AKP d’autre part est devenu un parti antioccidental et autoritaire ces dernières années et ne peut pas créer une dynamique de démocratie comme cela a été fait dans les années 2000. Alors, l’espoir des démocrates en Turquie se concentrent sur un nouveau parti de centre qui pourrait etre formé par les opposants de l’AKP comme Abdullah Gül, Ali Babacan et Ahmet Davutoğlu.
Dr. Ozan ÖRMECİ
[1] https://www.ensonhaber.com/gezici-arastirmanin-son-anketi.html.