Le nouveau Président de la République turc, Monsieur Recep Tayyip Erdoğan, a choisi, jeudi 21 août, son ministre des affaires étrangères comme le nouveau premier ministre turc: professeur Ahmet Davutoğlu. L’universitaire réputé, devenu d’abord conseiller diplomatique d’Erdoğan en 2003, puis son influent chef de la diplomatie à partir de 2009, est considéré comme l’un des hommes plus forts de la politique turque.
Venait d’une famille très pieuse de Konya, Ahmet Davutoğlu (1959-) a fait ses études secondaires au lycée allemand d’Istanbul. Très tôt, il s’oriente vers une carrière universitaire et occupe plusieurs postes à l’étranger.[1] Marqué par son séjour en Malaisie, il observe un pays musulman capable de concilier pluralisme institutionnel, économie de marché sans pour autant rejeter dans les limbes sa tradition spirituelle.[2]
Ahmet Davutoğlu
Ministre turc des Affaires étrangères depuis 2009, Davutoğlu est considéré comme le Henry Kissinger de la Turquie. Il est aussi considéré comme l’un des penseurs les plus importants dans le monde par le magazine américain Foreign Policy en 2010.[3] «La profondeur stratégique», «zéro problème avec les voisins», «la conscience juste»[4], l’auteur de ces concepts qui ont façonné la politique étrangère turque ces années dernières, Monsieur Ahmet Davutoğlu, est un intellectuel et professeur des relations internationales. «C’est un honneur pour moi d’être désigné à ce poste (…), je vais continuer le mouvement de restauration engagé il y a douze ans.» a dit Monsieur Davutoğlu lors du congrès extraordinaire de l’AKP (Parti de la justice et développement) le 27 août.[5]
Critiqué comme «néo-ottoman», Monsieur Davutoğlu a pour ambition d’utiliser l’héritage culturel et politique ottoman pour la Turquie dans les territoires de l’ancien empire ottoman à savoir les Balkans, le Caucase, l’Afrique du nord et le Moyen-Orient. Auteur du chef d’œuvre «La Profondeur Stratégique»[6], Monsieur Davutoğlu posait un contraste à l’homme du peuple Monsieur Erdoğan avec ses capacités intellectuelles. C’est pourquoi son succès électoral n’est pas certain comme celui de Monsieur Erdoğan dans un pays désespéré ou l’intellectualisme et la gentillesse sont des qualités négatives.
Monsieur Davutoğlu a faim pas seulement dans la scène politique
Monsieur Davutoğlu avait une faute grave avec sa politique étrangère contre la Syrie. Il a supporté des groupes révolutionnaires Sunni-jihadists contre le régime du Bachar al-Assad, le président autoritaire de la Syrie. Davutoğlu espérait qu’il pourrait réaliser une transformation démocratique en Syrie, mais on a vu que c’était une idée très naïve considérant la nature radicale de l’opposition et la culture anti-démocratique dans le pays. Son choix a causé une guerre civile assez sévère dans la Syrie et a porté un coup fatal aux relations pacifiques entre la Syrie et la Turquie. Lors du printemps arabe, ses positions ont entrainé une altération des relations diplomatiques avec Israël et l’Egypte aussi. Certains disent que c’est un pur démocrate, s’appuyant sur son soutient aux mouvements populaires pendant le printemps arabe. D’autres pensent qu’il est la réincarnation d’Enver Pacha[7] et qu’il défend les Sunnis contre les Alevis et les Chi’ites. Une chose est sure; son choix de politique n’a pas réussi pour la crise en Syrie et maintenant la situation est bien plus grave que l’autoritarisme d’Assad d’il y a 3 années. Mais Davutoğlu n’est pas un homme politique quelconque et il a toujours de nouvelles idées et des plans stratégiques qui peuvent changer la scène politique.
Le chef d’œuvre de Davutoğlu: La Profondeur Stratégique
En fait, Monsieur Davutoğlu représente une continuité dans la politique étrangère de la Turquie. La stratégie de « zéro problème avec les voisins » a commencé avec İsmail Cem (Ministre turc des Affaires étrangères entre 1997 et 2002); années pendant les quelles les relations avec la Grèce et la Syrie sont été revalorisées. Davutoğlu a continué ce processus et amélioré les relations diplomatiques et économiques de la Turquie avec tous les voisins. Il a essayé de faire un rapprochement même avec l’Arménie. Mais en 2011 quand le printemps arabe a commencé, Davutoğlu a du faire un choix; supporter les mouvements populaires et risquer d’aggraver les relations avec les voisins ou supporter les dictateurs. Il y avait aussi un troisième choix, celui de supporter les mouvements révolutionnaires mais empêcher la Turquie de s’engager et d’intervenir dans la politique intérieure des ces pays. Davutoğlu a choisi de supporter les mouvements révolutionnaires, mais sauf en Tunisie, le printemps arabe n’a pas apporté la paix et la démocratie en Afrique du nord et au Moyen-Orient. De plus, contrairement à la stratégie d’İsmail Cem, Davutoğlu est responsable de la dégradation des relations avec l’Occident (les pays de l’UE, les Etats-Unis et l’Israël) et n’a pas réussi de faire progresser l’adhésion da la Turquie à l’UE. Davutoğlu a réussi l’exploit d’avoir de mauvaises relations diplomatiques avec l’Iran et l’Israël en même temps.
Finalement, on peut dire que la politique intérieure de Monsieur Davutoğlu risque d’être incertaine mais l’AKP est un parti politique très fort et organisé qui peut couvrir les défauts de Davutoğlu.
Dr. Ozan ÖRMECİ
[1] http://fr.wikipedia.org/wiki/Ahmet_Davuto%C4%9Flu.
[2] Josseran, Tancrède (2011), “Turquie : repenser l’Empire”, http://www.diploweb.com/Turquie-repenser-l-Empire.html.
[3] “The FP Top 100 Global Thinkers”, Foreign Policy, http://www.foreignpolicy.com/articles/2010/11/29/the_fp_top_100_global_thinkers.
[4] “Davutoglu, le dauphin alibi d’Erdogan”, Le Figaro, http://www.lefigaro.fr/international/2014/08/22/01003-20140822ARTFIG00293-davutoglule-dauphin-alibi-d-erdogan.php.
[5] “Le président Erdogan nomme son « frère Davutoglu » premier ministre”, Le Monde, http://www.lemonde.fr/international/article/2014/08/22/m-erdogan-nomme-son-frere-davutoglu-premier-ministre_4475201_3210.html.
[6] http://www.amazon.com/The-Strategic-Depth/dp/6140100909/.
[7] Ismail Enver (né à Istanbul le 22 novembre 1881, mort le 4 août 1922) connu par les Européens pendant sa carrière politique sous les noms d’Enver Pacha ou Enver Bey, était un officier militaire turc, qui fut l’un des chefs de la révolution Jeunes-Turcs et le ministre de la guerre de l’Empire ottoman durant la Première Guerre mondiale (http://fr.wikipedia.org/wiki/Ismail_Enver). L’écrivain et l’homme politique français, André Malraux, a interrogé les rêves panturquistes d’Enver dans son livre Les Noyers de l’Altenburg (http://www.amazon.fr/Les-noyers-lAltenburg-Andr%C3%A9-Malraux/dp/2070403580).